Patrick Buisson, le conseiller en transgression de Sarkozy

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Patrick Buisson, le conseiller en transgression de Sarkozy

Par Eric Mandonnet, Romain Rosso, Ludovic Vigogne, publié le 25/09/2008

Cet iconoclaste de droite n’appartient pas au cabinet officiel du président, mais exerce une influence croissante au sommet de l’Etat. Portrait du plus atypique des hommes de l’ombre.

C’est lui qui ouvre le feu. Lors des réunions « de stratégie et de communication » que Nicolas Sarkozy convoque régulièrement, et même fréquemment depuis la rentrée, le président commence par passer la parole à Patrick Buisson. Ce journaliste de 59 ans a décliné à plusieurs reprises, et encore récemment, la proposition d’être le « conseiller spécial » du chef de l’Etat.

Spécial, il l’est, et même atypique ; il refuse plutôt de devenir un collaborateur parmi les autres et préfère rester hors système. Identité politique: catholique traditionnel appartenant à la droite contre-révolutionnaire. Spécialité: sa connaissance des classes populaires. « Il a un avis tranché et sûr, ce qui lui permet de parler avec énormément d’assurance au président, plus que beaucoup d’autres », raconte un conseiller.

Le 24 septembre 2007, Nicolas Sarkozy lui remet la Légion d’honneur: « Un journaliste de conviction, ce qui est rare. Un journaliste de grande culture, ce qui est très rare. Et si les convictions de Patrick le portaient à droite, cela ne ferait qu’équilibrer ceux que leurs convictions portent ailleurs. » Ce jour-là, le chef de l’Etat le désigne comme l’un des artisans décisifs de son élection.

Quand, pendant la campagne, après les incidents de la gare du Nord, Nicolas Sarkozy recadre ses troupes, tentées de revenir au débat économique et social – « Je me suis démené depuis trois jours pour braquer de nouveau la campagne sur la droite, laissez-la où elle est » – il est sur la ligne Buisson.

Le ministère de l’Identité nationale ? Il est sur la ligne Buisson: celui-ci plaidait pour une « transgression forte » et soulignait les risques de « notabilisation » du candidat. Les racines chrétiennes de l’Europe, l’évocation de Jean-Paul II dans un journal de 20 heures à six jours du vote, message destiné aussi bien aux centristes troublés par les propos sur le déterminisme génétique qu’à l’électorat frontiste et traditionaliste: il est sur la ligne Buisson. Au premier tour, le candidat de l’UMP obtient 31,2 %. Le chiffre clef de l’élection, qui lui assure la victoire.

« Il a donné à Nicolas Sarkozy le code, les mots qu’il faut employer pour séduire les électeurs du FN« , confie à L’Express Jean-Marie Le Pen, qui parle de Buisson comme d’un « ami », alors que les deux hommes ne se voient plus guère, à quelques exceptions près.

Au début de 2007, celui qui est alors producteur et animateur sur LCI rencontre le président du parti d’extrême droite dans son bureau, pour une interview filmée. Il souhaite entendre l’analyse de Le Pen sur la situation politique – il l’a toujours considéré comme l’un des meilleurs dans ce domaine. « Il est venu vous prendre le pouls, c’est sûr ! » glisse à Le Pen un proche.

A l’Elysée, Patrick Buisson introduit de nouveaux outils pour analyser l’opinion, jugeant inadaptés ceux qui existaient auparavant. Chaque acte du président est décortiqué dans sa notoriété et dans son degré d’approbation à travers deux baromètres, l’un hebdomadaire, l’autre mensuel. Parmi les gestes jugés essentiels de la reconstruction du lien entre le chef de l’Etat et les classes populaires, Buisson cite la mise en scène solennelle, le 15 mai, de l’annonce du droit d’accueil à l’école en cas de grève.

Un chef de l’Etat qui n’abdique pas, qui affiche sa détermination et qui prend une mesure dirigée vers les défavorisés: voilà le schéma idéal, selon Buisson, pour qui le régalien est autrement plus important que l’économique. Jamais il n’a constaté que les questions de pouvoir d’achat avaient entraîné une dégradation de l’image du président. Il croit d’abord à la sémantique et à la sémiologie, aux mots et aux symboles – le « Kärcher » et la « racaille » annonçaient déjà, dans son esprit, la victoire de 2007, transgressions verbales que Le Pen lui-même ne s’autorisait plus.

Lors de réunions de crise, il s’est parfois exprimé avant le Premier ministre, ce qui n’a pas facilité l’élaboration de bonnes relations avec François Fillon. Ses contacts quotidiens avec Nicolas Sarkozy sont regardés avec méfiance par le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, qui n’apprécie pas forcément la manière dont Buisson aspire à être le conseiller privilégié du chef de l’Etat.

Observer la vie gouvernementale relève aussi de ses tâches. Après le limogeage du patron des forces de sécurité de Corse, Dominique Rossi, il a prévenu le président: ce dernier ne saurait être draconien avec les militaires ou les policiers et laisser accroire que les ministres, certes évalués, échapperaient à la sanction. Il en voit quelques uns, principalement ceux du « G 7 », une structure dont il a soufflé l’idée à Sarkozy – Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos, Eric Woerth, Laurent Wauquiez – à qui il demande la plus totale discrétion sur leurs rendez-vous.

Il savoure la revanche du paria

Il cherche aussi, avec ses acolytes du « comité de pilotage », à redonner une identité à l’UMP. Quand les responsables du parti plébiscitent un slogan sur le « président du changement », il les en dissuade. Autant la rupture était comprise des classes populaires, interprétée comme un rejet de certaines pratiques politiques, autant le changement risque de les inquiéter.

Pour anticiper les réactions de ces catégories, rien ne vaut l’Histoire. Patrick Buisson a beaucoup lu sur les comportements populaires depuis la Révolution, de Philippe Ariès à Raoul Girardet, en passant par Louis Chevalier et ses fameuses Classes laborieuses et classes dangereuses. Il en a tiré des leçons sur l’attirance pour les schémas césariens, qui reposent sur le volontarisme d’un homme. « La grande période du PCF, dans les années 1945-1950, correspond à celle où il était conservateur, nationaliste, autoritaire », relève-t-il.

Là où lui évoque un retour au peuple, certains, y compris parmi les amis du président, s’inquiètent d’une dérive à droite. Etudiant à Nanterre à la fin des années 1960, Buisson se lie avec Alain Renault, militant du groupuscule « Ordre nouveau »et futur secrétaire général du FN. Ensemble, les deux hommes publieront, en 1984, L’Album Le Pen. Il écrit aussi OAS, histoire de la résistance française en Algérie, avec un universitaire d’extrême droite, Pascal Gauchon.

Directeur de la rédaction de Minute entre 1986 et 1987, Buisson affiche une ligne claire, qu’il explique au Quotidien de Paris: « Le Pen, le RPR et le PR, c’est la droite. Souvent, c’est une feuille de papier à cigarettes qui sépare les électeurs des uns ou des autres. » Sa stratégie est très minoritaire à l’époque. Du coup, il se rapproche de Philippe de Villiers – « Il est à droite de chez moi », remarque aujourd’hui le député de la Vendée – et contribue à sa campagne présidentielle de 1995. En 2002, il oscille entre François Bayrou, dont il sait qu’il est culturellement de son camp, et Alain Madelin.

Le voilà désormais à 100 % sarkozyste, depuis qu’il a bluffé le futur président en lui annonçant la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne quand le oui triomphait dans les sondages. Mais pas pour autant à ses côtés à temps plein. Il savoure la revanche du paria. Son parcours est plus disparate qu’il y paraît: il a connu, sur le tard, Léo Ferré et oeuvré à la parution d’un ouvrage posthume de l’artiste.

En novembre, il publiera un livre sur la guerre de 14-18 avec un sarkozyste au passé opposé au sien, Max Gallo. En avril dernier, celui qui dirige, depuis près d’un an, la chaîne Histoire, filiale du groupe TF1, s’est autorisé une audace: la publication de 1940-1945, années érotiques (Albin Michel), un livre de plus de 500 pages sur un sujet qu’il savait ô combien risqué pour lui, un livre qui défend une thèse hardie sur la libido comme clef du comportement sous l’Occupation et décrit une France femelle en adoration devant la virilité des vainqueurs. Déjà, il prépare le second volume. Titre envisagé: « De la grande prostituée à la revanche des jules ».